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malou mosaique
15 février 2009

Tout près, tout juste

Le brouhaha en terrasse rappelait à Léon l'espace des beaux jours de printemps qui flottent sans rien dire. Le sourire accroché à l'intérieur, il ne laissait passer que des idées vagues. Il ne pensait pas ou plutôt, il ne pensait plus qu'à elle. Il l'attendait, pensait l'apercevoir et puis non, ce n'était pas elle. Habillée de fleurs de la tête aux pieds, elle avait osé lui sourire timidement. Tout d'elle était douceur et l'envie de la prendre dans ses bras lui était venu aussitôt. Il s'était levé de son fauteuil années soixante. Une pulsion. Une envie. L'instinct. Mais à peine debout, il s'était senti ridicule et si fébrile qu'il en était retombé aussi sec en position assise.

Il n'avait plus osé la regarder et encore moins lui parler. Un trou de souris aurait été approprié à la situation. Pourtant, cet élan pour elle était si fulgurant.

Léon est brocanteur depuis huit ans. Chaque samedi, il installe son stand avec minutie, précaution et avec tant d'amour. Chaque objet déniché est un trésor de sens, de sorte qu'il astique, caresse, répare avec grande allégresse. Depuis huit ans, chaque samedi matin, les mêmes gestes. Il charge son camion la veille. Préoccupation majeure : ne rien briser, ne surtout pas laisser les porcelaines se disputer entre elles jusqu'au combat final qui s'entrechoque et se termine en miettes.

Léon connaît chaque tasse, chaque soucoupe ou assiette. Chacune porte un nom, a une histoire, la plus douce possible, celle de bouches qui effleurent, de doigts qui enlacent, de petites cuillères qui frôlent les contours, tournent en cliquetis magiques. Imaginer leur vie de porcelaine n'était absurde que pour ceux qui le traitaient de fou. Car fou, il ne l'était pas du tout.

Quant aux années soixante qu'il dénichait avec ferveur, le ramenaient sans doute à sa propre naissance. Il en prenait grand soin pour que chaque samedi, d'autres, comme lui, s'en émerveillent encore.

Sa jolie fée inaccessible à ses sens s'était arrêtée net devant un petit livre à la reliure parfaitement dorée. Elle avait effleuré la couverture en velours ras, avait posé deux doigts sur l'ovale métallique qui bordait une gravure ancienne : le visage d'une femme angélique, au corsage rose flottant et qui portait l'enfant. Elle l'avait pris en mains avec tendresse pour ouvrir le loquet qui faisait de cet ouvrage d'antan, un joyau de princesse oublié.

Sans doute le prix annoncé en première page ou le contenu de prières en italien l'avaient poussée à refermer le livre et à le déposer adroitement à sa place avec délicatesse. C'est à ce moment là qu'elle lui avait souri. Elle était restée longuement devant ce bel ouvrage avec ce sourire tendre qu'il avait pris pour lui, car Léon, comme elle, avait été saisi par la beauté du livre. Il en connaissait l'histoire et mourait d'envie de la lui faire partager.

Mais à peine avait il eu le temps de reprendre son souffle qu' elle avait disparu.

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